Portrait d'une bonne victime
La Bonne Victime
Non, il ne faut point tolérer Les systèmes abusifs, religieux ou mercantiles, Qui, du haut de leur trône, mille fois amplifiés, Écrasent les voix fragiles.
Non, dénoncer avec véhémence, Dans un cri de rage, dans un feu ardent, N’est point un signe de démence, Mais un écho puissant, bouleversant.
Voyez la « bonne victime », Posée, calme, presque anonyme. Pas de pleurs ni de cris, non, rien qui dépasse, Elle doit plaire, rester en grâce.
Elle ne doit être ni belle, ni trop forte, Pas trop sauvée, pas trop reconstruite. Sinon, aux yeux des juges, elle emporte Le doute, le soupçon, l’incrédulité subite.
La bonne victime doit cracher son sang, Ramper dans la boue, se briser en morceaux, Pour captiver, choquer, fasciner les vivants, Sous l’œil avide des journaux.
Si elle parle avec trop d’articulation, Si son récit, lisse et clair, manque de passion, Alors, c’est suspect, c’est trop parfait. Il faut des larmes, des spasmes, des regrets.
Et même après vingt ans, trente années, Elle doit porter ses plaies en bandoulière, Pour prouver que le mal n’est pas fané, Pour mériter un brin de lumière.
Mais dans ce monde d’ombres frivoles, Où tout n’est que spectacle et farandole, La bonne victime n’a qu’un temps. Elle doit disparaître, céder l’écran.
Sa douleur doit être brève, furtive, Une note de bas de page, vite effacée, Car trop de souffrance, voyez, dérive, Et finit par gâcher la soirée.
La bonne victime doit s’effacer, Laisser place au scandale d’après. Elle n’est qu’un poids, un fardeau gênant, Un murmure au milieu des bruits du temps.
Et pourtant, à vous qui détournez les yeux, Qui réduisez sa peine en clichés silencieux, N’oubliez pas : les maux qu’on tait, S’enracinent dans l’oubli et ne cessent jamais.
La « bonne victime », disaient-ils. Mais moi, je dis : la digne, l’inébranlable, Celle qui brave vos jugements futiles, Et reste debout, implacable.