Ça m’est arrivé qu’une seule fois, à une époque où j’étais fasciné par le concept de “lucid dreaming” j’étais persuadé que je pouvais influencer mes rêves, voir les contrôler, les reprendre où ils s’étaient arrêtés ou encore éviter d’avoir certains (très) mauvais rêves récurrents.

Du coup, je dormais tôt, sans distraction autre qu’un livre (il n’y avait pas de smartphone à cette époque) et quand je me réveillais, sans réveil, sans alarme, la première pensée que j’avais, avant même de me lever, de bouger, c’était de me rappeler mon rêve de la nuit, de mentalement le noter, puis une fois que je l’avais, je me levais, je notais le rêve sur mon carnet et puis je commençais ma journée.

J’ai perdu ces notes dans différents déménagements en quittant la secte, mais je me rappelle ce rêve tellement il m’a marqué.

Le vol dans le rêve n’était pas avec les bras comme un oiseau, d’ailleurs une bonne partie du rêve, la majorité en fait, j’avais volé toute la nuit, je me déplaçais en volant d’abord dans des endroits que je connaissais, je voyais tout de haut comme en vue satellite et au début, je n’ai pas remarqué que s’étaient les souvenirs ou la pensée qui me faisait voler, déplacer, et donc le rêve se passe ou je visite plein d’endroits différents et la sensation est absolument indescriptible, car il suffisait d’associer un souvenir ou une pensée à l’endroit pour y voler très rapidement, au début ces déplacements sont inconscients et puis dans le rêve, je me rends compte que je vole, que je me déplace, et je comprends le mécanisme qui me déplace associé aux souvenirs ou à la pensée.

À ce moment-là, c’est comme si tout passait en mode overdose, il suffisait d’appuyer sur la pensée pour y être, c’est comme si dans mon rêve, j’avais visité tellement d’endroits que j’avais été blasé, qu’il était devenu impossible de tous se les rappeler.

J’ai visité des pays, des îles, des forêts, j’ai voyagé toute une nuit, mais je ne sais pas où, comme si j’avais fait 1000 voyages en quelques heures.

Le rêve se termine quand j’ai une deuxième prise de conscience que j’ai volé, que j’ai vraiment volé, le dernier déplacement instantané que je me souviens et celui qui m’a le plus marqué, c’est quand tout d’un coup, dans mon rêve, je pense à Château de Soleil et du coup, j’arrive ici

la scène se passe très vite, j’arrive par-dessus les montagnes, je vois la vallée tout en bas et j’ai une troisième prise de conscience que je vole vraiment, que je me déplace vraiment et que je peux aller où je veux et là mon mental se réveille, panique, vertige, choque entre “mais c’est impossible” et “hé, mais putain, je vole vraiment”

J’ai parcouru plus de 2000 Km et je suis à un endroit que je connais trop bien même.

Et là, comme si le choc entre la matière, la logique et l’endroit se mêlait, alors même que je suis au-dessus de la plaine, que j’ai passé le pilonne, que tout va encore très vite, le “mais c’est impossible” prend le dessus et à ce moment-là, je commence à tomber, c’est la chute, tout d’un coup, je passe d’oiseau à une pierre et je tombe, et je flippe grave, je vais me fracasser la gueule, je me vois tomber et en même temps, je tombe, comme une pierre, comme si le fait d’avoir formulé la gravité avait arrêté mon vol en plein vol et je m’écrase au sol.

Et je me réveille en sursaut, le cœur battant la chamade, je me palpe pour confirmer que je suis entier, j’ai besoin de plusieurs minutes pour “intégrer mon corps” et reprendre mes esprits.

Avec le choc du réveil, j’ai oublié tous les endroits que j’ai visités, toutes les beautés qui m’ont tenu éveillé toute la nuit, grisée par le vice de penser pour voyager, j’ai juste la sensation d’avoir vu des milliers d’endroits que je n’ai jamais visités physiquement, comme si j’avais profité d’une manière de voyager que j’avais perdu pour toujours, juste après l’avoir acquise.

J’étais crevé, fatigué, mais repus de voyage aussi… il y avait un reste de pensée qui disait, à quoi bon voyager, tu as déjà tout vu, que je chassais d’une autre pensée :

Mais pourquoi donc ce crash sur le lieu de mon enfance ? pourquoi le rêve s’est-il arrêté là et pas ailleurs ?

Pourquoi il m’a fallu trois rationalisations de pensée pour arrêter de voler, alors que le début du rêve était simplement un fait, je m’étais déplacé, j’avais visité, voyagé, découvert des tas d’endroits, j’avais ressenti la joie d’être ailleurs, comme si j’y étais physiquement, d’abord inconsciemment puis consciemment puis la pensée était venue figer le tout en me faisant chuter là où c’était justement impossible de rêver.

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