Petite histoire, parce que la mémoire me revient d’un coup, prise de note pour mon futur bouquin… un Thread, oui, c’est un peu triste, contexte : dérive sectaire OKC, on est en 1998, j’ai 8 ans et cette année, j’ai pu “aller à Bruxelles” c’était toute une affaire,

une à deux fois par an, on voyait nos parents, pour ça on était trimbalé en camionnette du sud de la France, Alpes de Hautes Provence, du “domaine de la claire lumière” ou Nyima-Dzong comme il était appelé jusqu’à Bruxelles, ND est une propriété de 21 hectares dans laquelle on était en “internat” sauf qu’on était enfermé et qu’il n’y avait pas de visite du “monde extérieur”, pas de radio, tv, musique ou visite de qui que ce soit.

Bref, chaque année donc c’est le choc avec “le monde extérieur”, tout d’un coup il y a des fruits, des chocolats, des yaourts à la fraise et autant de fromage que tu es capable d’en manger, des desseins animés, car oui, la secte OKC était très différente en fonction du fait que l’adepte était situé dans un monastère (ND) ou en ville “au centre” comme c’était appelé.

Nos parents passent leurs journées à travailler dans les business de la secte et nous, on est glué devant la TV en train d’aspirer du contenu duquel on était radicalement coupé le reste de l’année.

Ce n’était pas du tout recommandé, ni souhaité, mais une fois par an, une brèche se formait et il était compliqué pour la direction de la secte et son fondateur de surveiller tout le monde tout le temps, jusqu’à l’intérieur de leurs chambres, du coup, le Temple, la pratique était martelée, mais les parents et leurs enfants soufflait d’une rare brèche dans un espace temps qui le reste de l’année était comme une minidictature, avec, au sommet un Robert Spatz déguisé en Lama Kunzang, flottant au-dessus de ses adeptes, nuit et jour, contrôlant leurs vies, leurs couples, leurs psychés, leur travail.

Bref voilà pour le contexte, on est donc en décembre de 1998 et ma mère me prend pour aller au cinéma, le truc de dingue, j’avais jamais vu un aussi grand écran et puis on pouvait prendre de sucreries et du popcorn et se goinfrer devant le film, fin les pubs qui occupaient une place conséquente à l’UGC Toison d’Or, le film commence, c’est Petit Pied, le petit dinosaure et la vallée des merveilles

“Un petit brontosaure (un « Long Cou »), Petit-Pied, devient orphelin après que sa mère s’est battue contre un tyrannosaure afin de le défendre. Il se retrouve séparé du reste de sa famille à cause d’un tremblement de terre. La famine menace et il doit trouver le chemin de la Grande Vallée, un endroit merveilleux où l’eau et la verdure se trouvent encore en abondance. Il espère aussi y retrouver ses grands-parents, car c’est là que tous les troupeaux de dinosaures se dirigent.”

Du haut de mes 8 ans, je n’ai aucune idée que je vais me taper un tsunami d’émotions refoulées, je n’avais pas vu ma mère depuis mes 5 ans, ce jour funeste où elle est simplement partie, parce que la séparation des parents et des enfants, des bébés en fait, était une norme, impossible à contourner et d’une certaine façon du haut de ses 21 ans, peut-être que ça l’arrange aussi, je ne suis pas enfant “facile” comme d’autres enfants neuraux divergeant à cette époque-là, je suis censé “man up” et faire comme les autres garçons, “être un homme”, avalé mes émotions, les contrôler, ne pas les montrer, ne rien afficher.

Le film se déroule, petit pied perd ses parents, devient orphelin, fait son voyage, passe par toute une série d’épreuves tout au long du film jusqu’à arriver à la vallée des merveilles, aujourd’hui 35 ans plus tard, je sais plus quelle scène m’a tellement bouleversé que j’ai dû sortir de la salle.

Ma mère était juste à côté de moi, il n’était pas question de la laisser voir que je pleurais, pas question qu’elle se rende compte de pourquoi je pleurais, j’étais moi-même incapable de vraiment mettre des mots dessus, c’était comme si le film et son histoire avait déclenché en moi une tempête d’émotions, de peurs, d’association à ce petit pied devenu orphelin, mais les faits de la vie, mais c’était impossible à contrôler, comme une vague, un magma de non-dit, qui tout d’un coup montait à la surface.

J’ai prétexté devoir aller à la toilette, je me suis encouru dans les couloirs et les escaliers, jusqu’à les trouver, j’avais peur, ce lieu était inconnu, d’habitudes “en ville” ma mère était toujours là, où qu’on aille et là, je devais absolument trouver un endroit pour me mettre à l’abri, fermer une porte, accepter que j’allais devoir laisser le flot d’émotions monter, surfer cette vague étrange d’un petit corps qui ne se laissait jamais aller sous aucun prétexte et lui donner l’espace de pleurer, toutes les larmes de son corps.

J’ai fini par les trouver ces toilettes, je me suis assis et j’ai tout vidé en silence, c’était comme une rivière en crue, impossible de la contrôler, il valait mieux se laisser porter par le courant, je ne sais pas combien de minutes sont passées, combien de temps est passé, j’ai fini par me calmer, me recomposer, me regarder dans le miroir, au loin, j’entendais une voix, ma mère se demandait où j’étais, il était l’heure de reprendre le cours des choses, après un dernier regard dans le miroir, je suis sorti comme si de rien n’était.

Ma mère venait vers moi dans le couloir, inquiète, mais où étais-tu passé tout ce temps ?? tout va bien ? oui oui, tout va bien, elle ne me connaissait pas assez pour déceler derrière la façade le torrent d’émotions duquel je venais de sortir, encore moins de traverser avec l’intensité que pouvait avoir ses moments pour moi à l’époque (et parfois encore aujourd’hui) son regard scrutait mon visage quand même, il devait bien y avoir quelques traces, des yeux rougis, j’avais raté la fin du film, ce n’était pas grave, on louerait la K7 une autre fois pour voir la fin, on a marché toute l’Avenue Louise jusqu’à la Rue de Livourne ou la secte OKC avait ses quartiers, je me suis réfugié dans mon lit, quelle journée et ce film qui avait déclenché toutes ces émotions, j’étais fatigué.

Mais je me disais que Petit Pied avait réussi, il avait retrouvé la vallée des merveilles et ses grands-parents, après tout “le monde extérieur” n’était pas si terrible. /fin

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Petit Pied et la vallée des merveilles, souvenir d'un monde intérieur